Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/100

Cette page n’a pas encore été corrigée

Ma bouche incessamment ouverte aux tristes plaintes
Ne fait que souspirer :
Et de mes pauvres yeux les prunelles esteintes
Ne me servent de rien si ce n’est de pleurer.
Cependant des ingrats, seigneur, qui de ta voye
Ont destourné leurs pas,
Se couronnent de fleurs et font des feux de joye,
De voir mes jours descendre en la nuict du trespas :
Nul son, tant soit-il doux, n’est si doux à leur ame
Que mes gemissemens :
Et nul si grand ennuy le cœur ne leur entame,
Que de voir quelque bien consoler mes tourmens.
Aussi vont cheminant d’un pied si dissemblable
Ma vie et leur erreur,
Que ce qui me déplaist leur estant agreable,
Nous sommes l’un à l’autre en mutuelle horreur :
Ma pluie est leur beau temps, mon repos leur misere,
Mon plaisir leur douleur :
Et comme s’ils vivoient en un autre hemisphere,
Estant jour à mon ame il est nuit à la leur.
Tenant entre tes mains la grace, et le supplice
La clemence, et la loy,
Déploye, ô tout-puissant, l’une et l’autre justice
De ton siege eternel et sur eux et sur moy :
Sur eux, celle qui juge et condamne à la peine
Le méchant endurcy :
Sur moy, celle qui douce à la foiblesse humaine,
Le pecheur justifie et le prend à mercy.

CANTIQUE