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JEAN-ARTHUR RIMBAUD

le groupe des habitués du palais municipal il venait troubler continuellement la quiétude de ces braves gens par des demandes de livres étranges… Le grave conservateur, forcé de se lever pour servir le solliciteur, n’en revenait pas, et vous prenait des airs de pion fâché qui finirent par irriter le gamin » et lui inspirèrent ce prodige de truculente ironie :


LES ASSIS


Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues
Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs,
Le sinciput plaqué de hargnosités vagues
Comme les floraisons lépreuses des vieux murs ;

Ils ont greffé dans des amours épileptiques
Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs
De leurs chaises leurs pieds aux barreaux rachitiques
S’entrelacent pour les matins et pour les soirs !

Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges,
Sentant les soleils vifs percaliser leur peau
Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges,
Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.

Et les sièges leur ont des bontés ; culottée
De brun, la paille cède aux angles de leurs reins
L’âme des vieux soleils s’allume emmaillotée
Dans ces tresses d’épis où fermentaient les grains.

Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes,
Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour,