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Voici maintenant un poème en prose, probablement composé après une absorption de haschich. On le doit dater du commencement de 1872, avril probablement, et il a été incontestablement écrit à Charleville. La phrase qui l’achève, ironique également, est un après-coup dicté par le souvenir d’une lecture de Thomas de Quincey. Il semble que Rimbaud vient d’éprouver pour la première fois la plénitude des effets du poison :


MATINÉE D’IVRESSE

Ô mon Bien ! Ô mon Beau ! Fanfare atroce où je ne trébuche point. Chevalet féerique ! Hourra pour l’œuvre inouïe et pour le corps merveilleux, pour la première fois ! Cela commença sous les rires des enfants, cela finira par eux. Ce poison va rester dans toutes nos veines, même quand, la fanfare tournant, nous serons rendus à l’ancienne inharmonie. Ô maintenant, nous si digne de ces tortures ! rassemblons fervemment cette promesse surhumaine faite à notre corps et à notre âme créés : cette promesse, cette démence ! L’élégance, la science, la violence ! On nous a promis d’enterrer dans l’ombre l’arbre du bien et du mal, de déporter les honnêtetés tyranniques, afin que nous amenions notre très pur amour. Cela commença par quelques dégoûts et cela finit — ne pouvant nous saisir sur-le-champ de cette éter-