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femme heureuse qu’en rendant les autres malheureuses ?

Ahuri, Lucien ne sait que répondre. Avec de grands yeux béants de gazelle surprise, il interroge Yvonne ; cette brusquerie le déconcerte, il ne veut pas croire, demeure stupide. Yvonne n’eût pas sitôt donné libre cours à cette boutade amère qu’il lui semblât avoir dit la chose en rêve. Elle a parlé d’un élan de toute elle-même, instantanément, sans réfléchir, sans prévoir. D’où vient cette révolte ? De quelles sources intimes a-t-elle jailli ? Comment se fait-il qu’elle n’a pas même eu la pensée d’endiguer ce flot de malice ? Des contradictions se mêlent dans sa pensée tumultueuse. Elle se réjouissait que d’autres jeunes filles fussent jalouses d’elle, et plus elles en sèment le témoignage par leurs sarcasmes, plus son amour pour Lucien pousse des racines tenaces. Et maintenant, elle est indignée qu’il se croie adoré par d’autres femmes qu’il désespère ? C’est vrai : pourquoi le blâmer de s’en être aperçu ? Eh bien, oui, il est impertinent d’affirmer qu’il est témoin de sa vogue, il est énervant de suffisance et de fatuité, voilà. C’est trop fort ! à la moindre boutade, il grince des dents. À coup sûr, il regorge trop de lui-même. Et cependant, il ne diffère pas de ce qu’il est toujours. Le ressentiment d’Yvonne contre