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CE QUE DISAIT LA FLAMME…

lité, sa résignation. Comment son caractère avait-il pu se libérer ainsi de l’orgueil qui se rebiffait d’un rien, de la sensibilité querelleuse ? Elle se remémore le temps, si près d’elle encore, où l’insolence la plus bénigne de Lucien lui valait une rebuffade, où elle ne tolérait pas ses plus infimes sarcasmes. Et maintenant, elle s’incline, elle courbe, elle s’affaisse…

Le pronostic de Jean surgit en sa mémoire. Elle n’a pu l’oublier, lucide, fort, presque certain. Ce qu’il prédisait était simple, mais incroyable ! Elle refusa de le craindre, et il s’écroule sur elle d’une lourdeur qui la terrasse. Lucien ne demande pas, déteste l’amour qui est le don total, voulu, magnanime de soi-même. Une pareille affection l’ennuie, l’irrite, le fait rire. Il va la lasser, l’anéantir par des saillies, bientôt par des invectives. Cela parut impossible et c’est vrai !…

Elle ne s’indigne pas, aucune rage ne lui fermente dans le sang. Tout le cœur meurtri accepte la désillusion, la souffrance. Jusqu’alors, n’y avait-il pas au fond d’elle-même une attente vague, mais inévitable de ce qui arrive ? Les paroles de Jean s’étaient, pour ainsi dire, incrustées en elle : à vouloir les effacer, elle n’avait réussi qu’à les accentuer davantage. De cette lutte morale avait commencé pour elle un