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CE QUE DISAIT LA FLAMME...

une anxiété lourde au fond d’elle-même. Un chagrin s’amassait dont la cause était, visible et imprécise à la fois. Un mot condensait la situation, vaguement, et assez : Lucien Desloges changeait… De la dureté trop souvent, contractait son langage, les tête-à-tête devenaient parfois insupportables, des silences entre eux tombaient, au cœur d’Yvonne avec une pesanteur de massue. L’évolution du mari se manifestait de façons diverses : de plusieurs manières, il se faisait capricieux, las, songeur, cassant, autoritaire ou sardonique. La jeune femme s’affligeait, réagissait pour n’entrer que plus loin dans une espèce de désespoir docile. La souffrance croissait d’une allure certaine, Yvonne savait qu’on l’emportait vers du malheur, de la fatalité…

Deux mois à peine avaient filé depuis les noces. Rien de plus délectable que ce soir-là… Yvonne espérait qu’une promenade — ils s’étaient promenés ainsi presque tous les jours depuis l’arrivée à Québec — lui serait offerte. Lucien déclara, d’un flegme insouciant, qu’un rendez-vous le réunirait à l’un de ses amis. Il ne songea pas à déplorer cette absence. Elle en fut contristée à l’excès. Il s’attarda beaucoup, la tortura au point que des sanglots finirent par déverser le poids de son âme. La cloche du téléphone n’avait pas bougé. Il lui eût été si facile d’allégir l’attente par du