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CE QUE DISAIT LA FLAMME...

que j’ai raison de souffrir. Je suppose que, les premiers jours, je fus trop heureuse : cela ne peut durer sans cesse, malgré l’espérance qui inonde alors. Tu es moins assidu, moins tendre. Il faut que tu t’éloignes de moi souvent, si souvent… Reste, Lucien, j’en ai besoin !…Comme tu dis, pour ne plus être sotte, pour ne plus être injuste envers toi, et surtout, pour ne plus souffrir…

Les paroles étaient modérées et humbles, mais contenaient de la détresse. Lucien Desloges ne voulait pas croire au gémissement vrai, il dédaignait la prière de sa femme, comme un badinage importun. Yvonne était lasse d’appréhension. Il était nécessaire qu’elle se soulageât d’une amertume trop dense, intolérable au cœur. La masse en avait gonflé rapide, au cours de réflexions grises, bientôt poignantes. La volonté solide héritée de son père n’avait pu lui épargner une certaine angoisse au bord du mariage. Elle ne se l’expliquait pas. Elle était sûre de ne pas se livrer comme une étourdie, elle s’était prévu une destinée claire, édifié un palais d’illusions. Lucien Desloges devenait le compagnon de sa vie, après qu’elle pût réfléchi avec persévérance, d’une vision lucide et franche de l’âme entière. Les défauts du jeune homme, elle s’était promis d’en venir à bout, de les tenir sous le joug. Elle entre-