instants où Lucien la délaissa pour échanger avec l’Américaine un colloque de regards sournois et d’âmes touchées à la surface, elle a fait taire un cri rageur de dépit au tréfonds d’elle-même, comprimé une jalousie douloureuse. Orgueilleuse, elle a redoublé de brillante humeur et de volubilité. Le tourment a creusé davantage, des alternatives de chagrin et de violence l’ont amortie ou enfiévrée. Lucien, de plus en plus lointain, fort amusé là-bas, si laconique après la verve de tout-à-l’heure, laissant voir à l’inconnue un regret si coquin de ne pas être près d’elle, pousse la témérité jusqu’à l’insolence. Ce n’est plus de l’attention, du mutisme ; c’est de la contemplation, langoureuse, diluée en songe. Yvonne d’abord a le cœur chargé d’une peine intolérable. D’un effort énergique, elle la dompte, et un afflux de colère lui enflamme le cerveau.
— On dirait que vous êtes ennuyé ! dit-elle, à peine ironique à cause d’une lutte contre elle-même instinctive et dont elle ne s’explique pas la vigueur.
— Ennuyé ? Quelle insulte vous vous adressez ! répond-il, suave.
— Alors, je me suis trompée !
— Est-il nécessaire de le dire ? Peut-on s’ennuyer auprès de vous, Yvonne ?