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CE QUE DISAIT LA FLAMME…

Une gêne entre eux s’attarde : leurs cœurs frénétiquement sautent.

— Ce n’est pas toujours comme cela, reprend-il, avec un sourire.

— Je l’oubliais, c’est le premier jour comme cela.

Un silence entre eux plane comme un oiseau de bonheur…

Jean a voulu s’écrier : « Ce n’est pas le dernier jour comme cela ! j’espère ! » Au moment même, il le désirait, il n’avait qu’obéi à un frémissant appel de son être. Mais l’intuition qu’il en serait dissuadé par le devoir, l’illumine, le contient : n’avait-il pas été sur le point de laisser jaillir une exclamation décisive, parce qu’elle eût lié son honneur, eût ajouté de nouvelles entrevues à celle-ci déjà troublante ? Un dilemme en toute sa netteté le fascine : la revoir encore, ce sera bientôt l’amour en lui-même ou la barbarie d’une illusion déchirée en elle. Et les deux hypothèses également l’effarouchent. À supposer même qu’il aimât plus tard l’ouvrière, n’écraserait-il pas cet amour ? Pour la première fois, il s’avoue, avec une étrange résignation, un commencement de tendresse pour la jeune fille. Il ne s’explique pas même d’avoir été si naïf. Il découvre en lui que, depuis les premiers jours, le doux sentiment est éclos, n’a cessé de vivre toujours plus