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CE QUE DISAIT LA FLAMME…

l’âme des airs canadiens : ils éclatent, ils s’amollissent, ils rêvent, ils se raniment, ils s’exaltent, les refrains de jadis, ils renaissent, ils empoignent, ils font courir des bouffées d’orgueil. Sur l’aile de la transition la plus légère accourt maintenant la chanson d’Isabeau : tour à tour, elle folâtre et berce. De la musique, auparavant, Jean n’avait reçu que de fugitives caresses, transports et soupirs venus de fort loin jusqu’à lui. Dès que la mélopée d’Isabeau se met à vivre, il lui semble que lui-même s’éveille, il écoute avec le plus ému de lui-même, il se rappelle combien ce thème, joué par Yvonne distraite il y a quelques semaines, l’avait secoué, attendri, soulevé ! Une émotion plus définie, plus consciente, aujourd’hui le pénètre ! il ne s’alarme plus d’être attiré par le charme de Lucile, de regarder son beau profil avec tendresse…

— Je ne puis entendre l’air d’Isabeau sans qu’il me rende un peu distrait : vos dernières paroles m’ont, échappé ; me pardonnez-vous ?

— Puisque vous êtes toujours distrait, alors… je serais bien mauvaise de m’offenser !…

— Vous avez raison, je n’aurais pas dû vous fausser compagnie de la sorte, mais vous faire connaître ma joie.

— Je ne vous ai pas fait de reproches !

— Pas même le plus sournois des reproches ?