Page:Bernier - Ce que disait la flamme, 1913.djvu/287

Cette page a été validée par deux contributeurs.
276
CE QUE DISAIT LA FLAMME…

lourd manteau de gloire usée. De tous les recoins de l’enfoncement où la jeune fille et son ami plongent, émanent des parfums d’histoire douce et des effluves de subtile tristesse. À leur gauche, un mur de pierres est plissé de rides comme le front d’un vieillard. La façade pimpante d’un magasin voûté donne l’impression d’une grimace au milieu du vaste sourire affligé des choses. Les exclamations bruyantes des enfants là-bas, aux profondeurs de la ruelle, ne font parler que les échos sévères des âges vieillis qui refusent de mourir…

Et n’ont-ils pas raison de ne pas vouloir mourir, aussi longtemps que des cœurs seront là pour les faire vivre un peu de leur amour ? Lorsqu’ils parviennent à la rue Sault-au-Matelot, comme si l’atmosphère de légende et de souvenirs les transformait, Lucile et Jean tout-à-coup se sentent l’âme plus grave, plus lointaine et plus orgueilleuse : la première minute auguste d’une passion moins inconsciente d’elle-même vient-elle en eux des siècles d’amour ? Une félicité vague les oppresse et creuse au plus intime de leur être. Ils ne s’en rendent pas vraiment compte. Jean ne redoute plus la tendresse ni même n’a le loisir de l’appréhender : il en subit l’étreinte, si impérieuse qu’elle enlève à l’esprit toute capacité d’analyse. Et voici que leurs âmes, après un dia-