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CE QUE DISAIT LA FLAMME…

garer Lucile de l’étourdissante cohue, la dirige un peu maladroitement par le bras. Des rougeurs vives filtrent au visage de sa compagne, et lui-même, envahi par un malaise qui l’étonne, est rempli de douceur et d’humilité…

À la seconde où ils allaient dépasser le Chien d’Or, toujours isolé dans sa haine, deux amis saluèrent Jean avec la dernière courbe d’élégance, eurent un sourire énervant de malice curieuse. Ils avaient auparavant décoché une œillade fervante à Lucile qui leur avait plu. Cette familiarité indiscrète le blessa au vif : il fut la proie tour à tour de la confusion et de l’agacement.

— Il fait très beau, n’est-ce pas, monsieur le docteur ? fit l’ouvrière, gentille, encore agitée par le compliment, la voix d’où son âme l’avait recueillie, la joie aiguë d’avoir été protégée ainsi…

— Un des plus beaux jours de la saison… À la campagne, c’était délicieux ! répond-il, honteux de lui-même et d’être torturé par le respect humain.

— Vous en avez de la chance, vous !

— J’oubliais que vous êtes prisonnière du comptoir, en souffrez-vous ?

— Nous nous connaissons si bien, tous les deux, que je ne puis lui en vouloir.

— Mais il y a des heures où la chaleur doit vous abîmer ?