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CE QUE DISAIT LA FLAMME…

Comme ceux-ci, l’amour de la race est un besoin de pitié souveraine et de dévouement… J’ai bien peur que Lucien, railleur intarissable des traditions canadiennes-françaises, ne te rende malheureuse. Comment peut-il aimer vraiment, l’homme qui renie l’amour ? Les ancêtres ont souffert, ont travaillé, ont souri auprès des berceaux, ont cru, ont adoré : tout cela n’est-il pas de l’amour ? Les dédaigner, n’est-ce pas être inférieur à leur tendresse, à leurs sacrifices, à leurs efforts vers quelque chose de plus élevé, de plus digne ? N’est-ce pas avoir le cœur moins grand qu’ils ne l’eurent ?

— Ils ne firent pas autre chose que s’aimer, les ancêtres ! fit Yvonne, devenue inexprimablement grave.

— Ils étaient pauvres, ils étaient peu savants, mais de toute leur vaillance, ils marchaient vers l’avenir… Ils préparaient l’essor de la race : c’est à nous de la faire monter !…

Peu à peu le langage ramassé, palpitant de son frère émeut Yvonne, pénètre en sa volonté. Il n’est pas étonnant que le cerveau de Jean, assailli par les aspects nombreux de l’idée qu’il fallait rendre lumineuse, ne les ait pas débrouillés sans quelques longueurs et quelques répétitions. Le jeune homme n’oubliera jamais l’intense peine à travers laquelle viennent de fuir les