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CE QUE DISAIT LA FLAMME…

quand il absorbe la page des finances, la plus capiteuse de tout le journal ? Ne l’enlève-t-elle pas dans l’unique sphère à sa hauteur, celle où l’or déferle et chante ? À la vision des fortunes qui dégringolent, il sent distiller en sa bouche une âcreté savoureuse : qu’il est délectable de voir tomber les millions des autres, quand le sien, au fond de la main crispée sur lui, demeure ! Égoïsme sauvage et qui se pardonne, si naturel et si candide ! A-t-il en effet la conscience d’être lâche ? Et d’ailleurs, autour de Gaspard, les choses ne sont-elles pas vassales de son orgueil ? Les hommes, devant son million, ne sont-ils pas à genoux ? Le remords d’avoir humilié Laura, la servante lourde, il en arracha promptement l’aiguillon de lui-même : ne payait-il pas un salaire dont, millionnaire, il n’avait pas honte ? Les larmes effacées par l’argent ne lui parurent pas dignes de pitié…

Certes, un malaise lui en est resté le long des nerfs, mais physique, nullement moral. À la minute précise, il est agréablement scandalisé par la nouvelle qu’une maison hostile croule. Fondée à Sherbrooke, il y a trois ans, au milieu d’un charivari de réclames, elle a battu en brèche quelques-unes des fortifications où vivait en sécurité la marque de Gaspard Fontaine. Elle en dévora quelque peu les murs, ici et là, mais la