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CE QUE DISAIT LA FLAMME…

les gens au coin de l’âtre, le long de la route qui menait à l’église et au magasin du bourg, dans les champs où l’on causait de choses familières. Une rumeur bourdonna aux oreilles d’environ tous les Québécois, les énerva, ne tombait que pour les ressaisir, vibra davantage, s’affermit, leur parlait toujours d’un industriel qui, manœuvre et gueux peu d’années avant ce triomphe, escaladait superbement la haute fortune…

Les oscillements de l’opinion n’altéraient pas la sérénité de Gaspard. Au fur et à mesure que l’argent, le mirifique et sonore argent, lui déroulait toutes ses faveurs, il ne s’émerveillait pas, s’inclinant vers elles comme vers des choses fatales, depuis longtemps débitrices de son rêve, à peine remerciées, parce qu’il lui semblait n’avoir jamais douté qu’elles seraient à lui… Les compliments le caressaient, les jalousies le ravissaient. Ni les unes ni les autres ne le déséquilibraient : c’est que le même enchantement les dominait sans cesse aux profondeurs de lui-même, la même griserie du succès collé à ses flancs, libellé sur son front, tressaillant par toute la substance de son être. Lorsque, devant lui, on conversait de fluctuations, de baisses, de faillites, elles passaient loin au-dessus de sa tête, ne le menaçant pas, ne pouvant le blesser, impossibles : il le savait par une intuition toute puissante.