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CE QUE DISAIT LA FLAMME…

tu en vis ! Née pour la gaffe, c’est bien cela, ta raison de vivre, ton métier, ton gagne-pain !

— J’ai tant de choses à faire, monsieur…

— Que tu fais celles que tu ne devrais pas faire !… Parlez-moi de cela comme bon sens !…

Il tire à lui le journal d’un mouvement rageur qui humilie la servante.

— Au fait, où as-tu la mémoire ? continue-t-il. Il doit y avoir un peu de cette chose-là dans les montagnes où tu perchais.

— J’ai de la mémoire pour y penser souvent, à mes montagnes… Si je n’avais pas eu besoin, allez, j’y serais encore ! dit-elle, quelque chose d’humide imbibant sa voix.

— C’est bon, va-t-en, dit-il, encore bourru, le cœur tout de même amolli.

Quoiqu’il tînt les yeux vers le journal, les pas de la servante, jusqu’à l’étouffement de leur bruit là-bas, résonnèrent en lui comme un reproche, et le regret le mordit au vif, obséda, taquina : au moment où il crut s’en affranchir, il durait sous la forme d’un agacement, d’une irritabilité même. Gaspard, à déguster la page de la finance, ne se délectait pas comme à l’ordinaire : habituellement, c’était un régal, une longue mastication, un pourlèchement des lèvres. Suivre la courbe harmonieuse des valeurs, voir les ruissellements d’or, entendre au loin la vaste sympho-