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un stigmate au front de ceux qui la vénèrent, stigmate de servilisme et d’infériorité morale : il regarde en bas grouiller, dans la lie des ignorantins, les valets de la tradition infâme. Et toujours aussi lestement, aussi nonchalamment, qu’il s’agisse de patriotisme ou de religion, de principes traditionnels ou même éternels, il ignore ce qu’il insulte, il ignore ce qu’il nie. Ce n’est pas un doute que le doute frivole : il n’y a de vrai doute que celui des penseurs. Ceux-ci ont la noblesse de leur angoisse : Lucien Desloges doute béatement, lui, parce que c’est gentil, original et pas ridicule. Avec une candeur sereine, il doute de sa race, de l’héroïsme, des traditions, de la morale, du sacrifice, de l’effort, de l’idéal, de la bonté de Dieu même, assez probablement. Sur les ruines que le doute accumule en lui-même, il construit un être rayonnant d’inconscience et de superbe fragilité. Pourvu qu’il restât debout, son « moi » gavé de jouissances, toutes les choses vénérables tomberaient, avant qu’il répandît une larme sur les grands souvenirs qui meurent…

Ainsi Jean, le long de la causerie, a vu saillir en lumière tous les aspects, toutes les lignes du personnage. Mais devant lui, trop de choses ont surgi les unes après les autres, fuyant pour revenir et fuir de nouveau, pour que le portrait moral de Lucien Desloges n’ait pas quelque chose