Page:Bernier - Ce que disait la flamme, 1913.djvu/106

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et discrets. Des silhouettes sombres flânent le long de quelques vérandas : un murmure de voix heureuses chante. Deux amoureux languissamment vont et viennent, le cœur tout plein de regards et de sourires. Le sabot d’un cheval heurte, harmonieusement le sol : le cocher, de trois syllabes dolentes, prie la bête d’aller plus vite. Une automobile roule avec le bruit de Tonde caressée par les flancs d’une barque. Il monte d’une chapelle dominicaine vers l’Éternel un hymne de silence. Un jappement s’élève au loin dans les champs assoupis de Montcalmville, et sa plainte est mélodieuse à travers la nuit. Une rêverie de Schumann erre sur le clavier d’un piano que touche une âme. Quelques pépiements s’égrènent là-haut dans un érable : c’est un oiseau du pays qui fait un beau songe…

Jean n’est pas amolli par le charme trouble de la nature. Il est la proie d’une émotion plus énergique : une fièvre d’agir le parcourt, l’électrise. Il veut donner plein essor à l’élan qui lui est venu des sources les plus pures de lui-même, il veut être profondément canadien-français, il veut qu’être tel soit une des préoccupations chères de l’existence. Puisqu’il n’est pas de ceux qui peuvent, tirer l’épée dans une croisade, au moins vaincra-t-il sa propre nonchalance et, selon la promesse que Paul Garneau et lui échan-