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au large de l’écueil

goïstes, où tous auront la joie parfaite dans le véritable, le saint amour libre !…

Il y a presque de la violence dans la façon dont elle profère ces paroles. Quelque chose d’obscur en elle entame sa foi en leur vérité : elle éprouve le besoin de la raffermir, de la retrouver toute entière. Une influence, ignorée jusqu’alors, lui fouille des recoins ignorés dans la conscience. Alors qu’elle ne s’en est pas rendu compte, l’ambiance religieuse, dans laquelle elle s’est mue depuis quelques heures, l’a imprégnée peu à peu, s’est logée impérieusement dans son esprit. La personnalité vigoureuse et inflexible du Canadien agit sur elle. Elle s’étonne d’être moins tranquille dans la paix de son incroyance. Le nuage, de plus en plus noir, qui a chassé le soleil et verse dans l’air son ombre pesante, avive son inquiétude secrète. Les roulements du tonnerre s’accélèrent, et les rafales de l’ouragan qui s’apprête emportent au loin les chiffons affolés et tordus. Un éclair épouvantable déchire la masse noire, et la jeune fille est moins effrayée de sa menace que de la Présence nouvelle qu’elle croit sentir en elle-même et dans la puissance des choses…