Page:Bernier - Au large de l'écueil, 1912.djvu/38

Cette page a été validée par deux contributeurs.
36
au large de l’écueil

le talon des passants, le pauvre aveugle debout tout le jour à la Porte Saint-Jean, bien des choses lui mettaient le cœur en deuil. La griserie d’être joyeuse la reprenait vite, et l’enfant de dix-huit ans continuait sa mission de lumière à répandre.

Bien des fois, le sourire de Jeanne avait endormi les ennuis du père, dispersé les tristesses de la mère et reposé le cerveau las de Jules. Elle avait, pour le grand frère, une admiration presque religieuse, une tendresse presqu’idolâtre. Quand il partit pour le long voyage, elle pleura tout le jour et toute la nuit. Elle fut moins rieuse qu’à l’ordinaire, cette année-là. Ce n’est que depuis une semaine que le lutin de jadis était vraiment revenu à la vie. Sa peine de tout-à-l’heure avait bientôt fondu sous les caresses de la mère.

— J’ai eu tort, petite mère, dit-elle, badine. J’aurais dû te comprendre… Je ne suis qu’une enfant, vois-tu… Il ne faut pas que Jules me trouve les yeux rouges… Ai-je embelli, au moins ?…

— La vilaine coquette !…

— Est-ce un crime de l’être pour un tel frère ?