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au large de l’écueil

giles et les relisant dans le sanctuaire où nul ne les avait jamais profanés.

C’est là que l’industriel patriote, au milieu des chers livres, avait connu la vraie douceur de vivre ; là qu’aux retours du Premier de l’An, Jules courbait son front grave et que Jeanne inclinait ses boucles blondes sous la bénédiction pieuse et traditionnelle du père ; là que celui-ci avait infusé à son fils l’amour des choses canadiennes ; là que, dans le demi-jour de la lampe ancienne, sa femme venait lui sourire et que, dans ses bras de géant, sa fille venait nicher sa tête menue ; là que Jules, au jour de son départ, avait regardé longuement les deux femmes en pleurs sur sa poitrine afin d’en rester dignes ; là qu’avant de laisser, pour se rendre à la tâche quotidienne, la maison qu’il habitait rue des Remparts, Augustin ne manquait jamais de contempler le Saint-Laurent. Il avait vu tous les caprices de la lumière sur le fleuve et ne se lassait pas de les revoir. Il connaissait la succession des feux de l’aurore sur l’onde au repos, la magie rose du couchant sur le flot du soir, les eaux cuivrées à la veille des orages, mélancoliques sous la brume, ivres de soleil le midi, lourdes sous les nuages de