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au large de l’écueil

Vous m’auriez déjà préparée à la nouvelle du salut, vous m’auriez déjà tout dit… Vous vous êtes trahi, je suis aveugle !… Mais dites-le moi donc, afin que je pleure à loisir !…

— Hélas, pauvre enfant ! sanglote le père, étreignant la tête brune sur sa poitrine.

— Courage, ma fille, gémit la mère…

— Aveugle ! Je suis aveugle !… Quelle horreur !… Mais je ne veux pas, je proteste contre le sort !… Malgré tout, j’espérais toujours !… Fermés à toujours, à la clarté, à la vie immense, à la poésie des espaces, aux livres adorés, aux chers visages, à la France !… C’est la nuit, lugubre, épaisse, inflexible, jusqu’au dernier souffle de ma poitrine !… On m’abandonnera seule à mon martyre !… Oh non, c’est trop cruel !… Je ne veux pas, moi !… Elle est barbare, elle est monstrueuse, cette Matière !… Non, mon Dieu, si Vous êtes, Vous ne voudrez pas cela !…

— Que dis-tu, Marguerite ? interrompt Gilbert, atterré.

— Ce n’est pas moi qui ai dit cela, répondit-elle, se rappelant que son père doit ne jamais le savoir, le désespoir m’a entraînée, mon âme a voulu se cramponner à je ne sais quelle illusion