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au large de l’écueil

tre. Oh ! comme il en est orgueilleux, de cette femme intelligente, idéale qu’il a créée ! Sonnez, cloches maudites, pense-t-il, avec une joie délirante, vous ne faites pas mieux, vous ne ferez jamais une créature comme celle-là !

Un désir incontrôlable de lui redire sa fierté dirige le père vers sa fille. Elle est si intense, la rêverie du visage mince et parfait, qu’il en est frappé.

— Quelle songerie, ma fille !… Si j’ignorais que tu n’as aucune raison de l’être, je te croirais triste même…

— On est triste, parfois, sans trop savoir ce qui pleure en nous…

— C’est la souffrance des poètes, cela, railla-t-il. Les larmes qu’on verse alors ont une saveur infinie… C’est la douleur imaginaire, qui n’en est que plus douce, parce que nous la créons en nous-mêmes… Ce n’est qu’une forme de l’égoïsme : deviendrais-tu égoïste, mon enfant ? La chose est très-vilaine…

— La poésie m’a toujours ensoleillée de joie, mon père, dit la jeune fille, qui se demanda si, dans son amour, elle n’avait pas songé qu’à elle seule. Je ne suis pas une égoïste, alors…