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au large de l’écueil

toir monotone ou de la fabrique malodorante, les ouvrières ont arboré leurs nippes fraîches : leurs narines gonflées aspirent avec frénésie l’air du soir, pendant que leurs pieds inlassables vont et viennent, que leurs yeux luisent comme des escarboucles et que leurs lèvres allument les fusées de leur esprit gouailleur. Souvent, leur amoureux les escorte, et c’est alors la gamme intime des mots suaves, des œillades en tapinois, des silences bavards, des frôlements imperceptibles dont tout l’être a conscience. Quand ils ne sont pas accouplés, jeunes gens et jeunes filles, de noblesse bourgeoise ou populaire, se font la chasse à l’amour. Il faut voir les minauderies à l’affût, les regards tendus comme des pièges, les flèches qu’on se darde et les blessures qu’on échange à la surface du cœur. C’est le tournoi de la jeunesse où les beaux garçons comptent les sourires qu’ils vainquent et les jolies filles, les chevaliers qu’elles terrassent ! Oh, qu’elle est passionnante, ce soir-là, la foule épaisse, bruyante et pittoresque dont la houle fait trembler la vaste promenade ! C’est la féerie presqu’affolante des minois étincelants, des frimousses piquantes et des laideurs irréparables, des Canadiennes-Françaises vives à