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au large de l’écueil

veloppe leur âme d’ils ne savent quelle terreur indicible. Ils sont presque pétrifiés, tous trois, Jeanne, Marguerite et Jules, devant la Chute Montmorency géante, et leurs mains convulsives se cramponnent au garde-fou qui les sépare de l’abîme. La clameur des eaux, s’écrasant dans le vide et rugissant sur les rocs, fait trembler la gorge de la montagne, et la vaste plainte aux gémissements sans nombre épouvante. L’écume, à gros bouillons immaculés, se précipite sur les rochers qu’elle gruge, galope sur les croupes arrondies, se tord dans les sillons creux, se déchire aux pointes aiguës, s’effondre en une vague colossale dans le gouffre hurlant sous terre. Elle asperge la falaise de gouttelettes infimes, et celles-ci, tout près d’atteindre la pierre tailladée que leurs devancières à travers les siècles ont noircie, portent un moment la livrée de l’arc-en-ciel. Quelques herbes malingres achèvent de mourir sur les flancs de la faille qui ne peut plus les nourrir. Un éboulis dévalant vers la rivière, un peu plus loin, fait songer aux secousses formidables d’antan. À n’en pas douter, c’est un des repaires où la nature donne libre cours à sa rage féroce. D’abord vaincu, l’homme dont le