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vers. Il pensait… et m’expliquait que le vers devait être sans une intonation, et que la valeur ne devait être mise que sur la rime. C’était assommant à entendre et impossible à exécuter. Puis, je ne comprenais pas très bien le caractère d’Aricie qui ne me semblait pas aimer du tout Hippolyte, et qui me paraissait être une coquette intrigante.

Mon parrain m’expliquait que c’était la façon d’aimer dans les temps anciens. Et quand je lui disais que Phèdre avait l’air de mieux aimer, il me prenait le menton et disait : « Voyez, cette petite masque ! ça fait semblant de ne pas comprendre ! Elle voudrait bien qu’on lui explique… »

C’était bête comme chou ; je ne comprenais pas et ne demandais rien. Mais cet homme avait l’âme bourgeoise, sournoise et paillarde. Il ne m’aimait pas parce que j’étais maigre ; mais je l’intéressais parce que j’allais être actrice. Ce mot éveillait en lui tous les côtés faibles de notre art. Il n’en voyait pas la beauté, la noblesse et la bienfaisante puissance.

Je démêlais mal tout cela, alors ; mais je me sentais en malaise près de cet homme que je voyais depuis mon enfance et qui me servait presque de père.

Je ne voulus pas continuer à apprendre Aricie. D’abord, je ne pouvais en causer avec mon institutrice, qui ne voulait pas entendre parler de cette pièce.

J’appris alors L’École des Femmes, et Agnès me fut expliquée par Mlle de Brabender. Oh ! la chère demoiselle n’y voyait pas grand’chose. Toute cette histoire lui semblait d’une simplesse enfantine. Et quand je répétais : « Il m’a pris… il m’a pris le ruban que vous m’avez donné », elle souriait, confiante au rire gras de Meydieu et de mon parrain.