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avait, après déjeuner, conseil de famille pour elle, dit lentement ma mère. Il y a des moments où elle me décourage. »

« Allons ! allons ! » exclama mon parrain, pendant que ma tante Rosine racontait je ne sais quoi en anglais au duc de Morny, qui souriait finement dans sa fine moustache. Mlle de Brabender me grondait tout bas, et ses gronderies étaient paroles du ciel.

Enfin, le repas terminé, maman me dit de servir le café. Aidée de Marguerite, je préparai les tasses et passai dans le salon.

Il y avait déjà le notaire du Havre, Me C…, que je détestais. C’est lui qui représentait la famille de mon père mort à Pise, dans des conditions inexpliquées et restées mystérieuses.

Ma haine d’enfant ne me trompait pas. J’appris plus tard que cet homme avait été l’ennemi acharné de mon père. Il était si laid, si laid, ce notaire ! Toute sa figure remontait en haut. On eût dit qu’il avait été pendu longtemps par les cheveux, et que ses yeux, sa bouche, ses joues, son nez, avaient pris l’habitude de se diriger vers l’occiput. Il aurait dû avoir la face joyeuse, ayant tant de choses retroussées. Il avait la face sinistre et glabre. Il avait les cheveux roux, plantés comme des poils de chiendent ; et sur son nez, une paire de lunettes cerclées d’or. Oh ! le vilain homme ! Oh ! le torturant cauchemar, que le souvenir de cet homme qui a été le mauvais génie de mon père et qui me poursuivit de sa haine !

Ma pauvre grand’mère, qui depuis la mort de mon père ne sortait jamais et pleurait le fils tant aimé et si tôt parti, ma pauvre grand’mère avait mis toute sa confiance en cet homme. Il était en plus l’exécuteur