Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/76

Cette page a été validée par deux contributeurs.


VI


Je me levai un matin de septembre, le cœur plein de gaieté lointaine. Il était huit heures. Je collai mon front contre les vitres et je regardai. Quoi ? je n’en sais rien ! Je m’étais éveillée en sursaut au milieu de je ne sais quel rêve et je m’étais précipitée vers la lumière, espérant trouver, dans l’infini du ciel gris, le point lumineux qui allait éclairer mon inquiète et joyeuse attente.

Attente de quoi ? — Aurais-je pu le dire alors ? — Puis-je le dire aujourd’hui après longue réflexion ? — Non.

J’allais avoir quinze ans. J’étais dans l’attente de la vie ; et ce matin-là me semblait être précurseur d’une ère nouvelle. Je ne me trompais point, car ce jour de septembre décida de mon avenir.

Hypnotisée par mes pensées, je restais le front contre la vitre, voyant, à travers l’auréole de buée formée par mon haleine, passer les maisons, les palais, les voitures, les joyaux, les perles. — Oh ! qu’il y avait de perles ! — les princes, les rois… Oui, j’allais jusqu’aux rois ! Oh ! l’imagination va vite, et la raison, qui est son