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je me retrouvai très heureuse. Mes deux chèvres furent gardées. J’avais le droit de les faire venir aux récréations ; et on s’amusait follement avec elles : on les chargeait, elles nous chargeaient… Et c’était des rires, des culbutes, des folies… Et cependant, j’allais avoir quatorze ans. Mais j’étais chétive et enfantine.


Je restai encore dix mois au couvent, sans rien apprendre, toujours hantée par l’idée d’être religieuse, mais plus mystique du tout.

Mon parrain me trouvait la plus ignare des enfants.

Je travaillais cependant pendant les vacances ; et j’avais pour compagne de mes études Sophie Croizette qui demeurait non loin de notre maison de campagne. Cela stimulait un peu mon zèle, mais pas beaucoup. Sophie était rieuse, et nous aimions surtout aller au Musée, où sa sœur Pauline, devenue depuis Mme Carolus Duran, copiait des tableaux de maîtres.

Pauline était aussi calme, aussi froide, que Sophie était bruyante, bavarde et charmante. Elle était belle, Pauline Croizette ; mais j’aimais mieux Sophie, plus galamment jolie.

Mme Croizette, la mère, semblait triste et résignée. Elle avait renoncé très tôt à sa carrière : elle avait été danseuse à l’Opéra de Saint-Pétersbourg. Elle y était adorée, adulée, choyée. C’est, je crois, la naissance de Sophie qui l’avait forcée de quitter le théâtre.

Puis, de mauvais placements d’argent l’avaient ruinée. Une grande distinction dans sa personne, une grande bonté sur son visage et une infinie mélancolie lui attiraient toutes les sympathies.

Maman et elle avaient noué connaissance à la musique du parc de Versailles, et nous fûmes liées quelque