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J’arrête là le premier volume de mes souvenirs ; car c’est vraiment la première étape de ma vie : l’évolution réelle de mon être physique et moral.

Je m’étais sauvée de la Comédie-Française, sauvée de Paris, de la France, de ma famille, de mes amis.

Je pensais faire une chevauchée abracadabrante à travers les monts, les mers, les espaces !

Et je revenais énamourée d’horizon, mais calmée par la sensation des responsabilités qui avaient pesé pendant sept mois sur mes épaules.

Le terrible Jarrett avait dompté ma trop sauvage nature par son implacable et cruelle sagesse et par un appel constant à ma probité.

J’avais, dans ces quelques mois, mûri mon cerveau, assagi la rudesse de mes vouloirs.

Ma vie, que je croyais d’abord devoir être si courte, me paraissait maintenant devoir être très, très longue ; et cela me donnait une grande joie malicieuse, en pensant à l’infernal déplaisir de mes ennemis.

Je résolus de vivre.

Je résolus d’être la grande artiste que je souhaitais être.

Et, dès ce retour, je me vouai à ma vie.


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