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blond, que l’autre était grand et brun. Mais il était aussi charmant, et causeur délicat. Le commandant Jouclas se brûla la cervelle après une grosse perte au jeu.


Ma cabine avait été remise à neuf ; et, cette fois, c’était d’une tenture bleu de ciel qu’on avait recouvert les boiseries.

En montant sur le paquebot, je me retournai vers la foule amie et j’envoyai un dernier adieu. On me cria : « Au revoir ! ».

Puis je me dirigeai vers ma cabine. A ma porte, debout, dans un élégant costume gris fer, portant souliers pointus, chapeau à la dernière mode, et les mains gantées de peau de chien, se trouvait Henri Smith, le montreur de baleine. Je poussai un rugissement de fauve. Il gardait son sourire joyeux et me remit un écrin, que je pris pour le jeter dans la mer à travers mon hublot ouvert. Mais Jarrett arrêta mon bras et s’empara de l’écrin qu’il ouvrit : « C’est magnifique ! » s’écria-t-il. Mais j’avais fermé les yeux. Je bouchai mes oreilles et je criai à cet homme : « Allez-vous-en ! Coquin ! Brute ! Allez-vous-en ! Je souhaite votre mort dans des souffrances atroces ! Allez-vous-en ! »

J’entr’ouvris les yeux à demi : il était parti. Jarrett voulut me parler du présent, je ne voulus rien entendre. « Ah ! pour l’amour de Dieu ! Monsieur Jarrett, laissez-moi tranquille ! Et puisque ce bijou est si beau, donnez-le à votre fille et ne m’en parlez plus ». Ainsi fut fait.


J’avais reçu la veille de mon départ d’Amérique une longue dépêche signée Grosos, président de la Société