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prétention de mes roses épinglées et de mes mèches frisées qui faisaient visière à mon grossier capuchon.

Je paraissais plus grosse que tout le monde, à cause de ma ceinture d’argent qui cerclait ma taille et relevait les plis durs du caoutchouc autour de mes côtés. Mon faciès maigre était mangé par mes cheveux, qu’aplatissait le capuchon. On ne voyait plus mes yeux. Seule, ma bouche, au dessin un peu grand, accusait que ce tonneau était un être humain.

Furieuse contre ma prétentieuse coquetterie, honteuse de ma faiblesse qui me faisait ronronner aux flatteries basses et mensongères des gens qui se moquaient de moi, je résolus de rester ainsi pour calmer mon orgueil stupide.

Il y avait avec nous beaucoup d’étrangers qui se poussaient le coude en me montrant, et qui riaient — sous capuchon — de mon stupide accoutrement. C’était bien fait pour moi.

Nous descendîmes l’escalier taillé dans le bloc de glace, pour arriver sous la chute canadienne. Là, le spectacle le plus étrange, le plus fou : au-dessus de moi, une immense coupole de glace surplombant dans le vide, accrochée par un seul côté au flanc du roc. De cette coupole pend, par milliers, des glaçons aux formes les plus diverses : des dragons, des flèches, des croix, des masques rieurs ou douloureux, des mains de six doigts, des pieds informes, des torses inachevés, de longues chevelures de femmes... Enfin, l’imagination aidant, et la fixité du regard entre les cils mi-fermés, complètent l’ébauche. L’esprit peut, en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, évoquer toutes les images de la nature ou du rêve, toutes les conceptions folles d’un esprit malade ou les réalités d’un cerveau pondéré.