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Puis nous nous rendîmes aux chutes. Sur le balcon creusé dans le roc, je restai plus d’une heure, des larmes plein les yeux, émue jusqu’au tréfonds de moi, par la splendeur du spectacle, la beauté des proportions.

Un soleil radieux irisait l’air autour de nous. Partout des arcs-en-ciel illuminaient l’atmosphère de leurs teintes douces et argentées. Les coulées de glace durcie qui pendaient le long des rocs, de chaque côté, semblaient autant d’énormes joyaux.

Je quittai ce balcon avec chagrin. Et nous descendîmes dans d’étroites cages qui glissaient doucement dans un tube ménagé dans une fissure de l’énorme rocher. Nous arrivions sous les chutes. Elles sont là presque au-dessus de nos têtes, nous éclaboussant de gouttelettes bleues, roses, mauves !

En face de nous, et nous défendant contre la chute, est un amoncellement de glaçons qui ne forment plus qu’une seule petite montagne. Nous l’escaladons tant bien que mal. Mon lourd manteau de fourrure me fatigue. Je l’enlève à moitié route, le laisse glisser sur le flanc de la montagne de glace. Je le retrouvai en bas. Je reste ainsi en robe de drap blanc avec une légère blouse de satin. On se récrie. Abbey retire son paletot et me le jette sur les épaules. Je m’en débarrasse vivement, et le paletot d’Abbey va rejoindre en bas ma pelisse de fourrure. La figure du pauvre imprésario est désespérée. Comme il a pris pas mal de coktails, il titube, tombe sur la glace, se relève et retombe. Et le rire gagne tout le monde. Moi, je n’ai pas froid. D’abord, je n’ai jamais froid en plein air. Je n’ai froid que dans les maisons, si je reste inactive.

Nous arrivons au faîte de la glace ; la chute nous