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les inviter. Il y eut entre nous une discussion qui faillit tourner mal. Il était autoritaire, moi aussi. Un instant, tous deux nous préférions ne pas y aller que de céder à l’autre. Mais Jarrett nous fit comprendre que notre « autocratie » allait priver les artistes d’une jolie fête dont ils avaient entendu parler et dont ils semblaient déjà très heureux. Nous cédâmes. Et, pour tout arranger, nous fûmes de moitié pour cette joyeuse journée.

Les artistes acceptèrent avec une bonne grâce charmante nos invitations, et nous primes le train pour Buffalo, où nous arrivions à six heures dix du matin. Le câble avait marché pour préparer les voitures et le café au lait, et surtout pour commander des vivres ; car arriver trente-deux personnes un dimanche dans une ville anglaise, sans prévenir à l’avance, serait pure folie.

Le train était enguirlandé de fleurs. C’était un train spécial allant à toute vitesse sur les voies libres, le dimanche.

La joie enfantine des jeunes artistes, les racontars de ceux qui avaient déjà vu, la faconde de ceux auxquels on avait dit... etc... les petits bouquets de fleurs distribués aux femmes, les cigarettes et les cigares offerts aux hommes, tout cela donnait de l’humour, et chacun et chacune semblaient heureux.

Les voitures nous prirent à la descente du train pour nous conduire à l’hôtel d’Angleterre, resté ouvert à notre intention. Des fleurs partout, et des quantités de petites tables sur lesquelles se trouvaient : café, chocolat et thé. Chaque table fut immédiatement entourée de convives. J’avais à ma table, avec ma sœur, Abbey, Jarrett et les premiers artistes. Le repas fut court et très joyeusement animé.