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l’inconnu prit congé, refusant de me faire voir ses croquis, qu’il voulait, disait-il, retoucher. Mais quelle ne fut pas ma joie le lendemain lorsque Jarrett, furieux, entra chez moi, tenant à la main le premier journal de Pittsburg dans lequel l’inconnu, qui n’était autre qu’un journaliste, racontait tout au long la répétition générale de Froufrou. Et cet aimable imbécile écrivait :

« Dans la pièce de Froufrou, il y a une scène importante : la scène des deux sœurs. Mlle Sarah Bernhardt ne m’a pas étonné. Quant aux artistes de la Compagnie, je les trouve médiocres. Les toilettes ne sont pas belles et, à la scène du bal, personne n’était en frac. »

Jarrett était fou de fureur. Moi, j’étais folle de joie. Il savait mon horreur des reporters, et il m’en avait introduit un subrepticement, espérant une belle réclame. Et le journaliste avait compris que nous répétions en costumes Froufrou, alors que nous répétions pour mémoire La Princesse George, d’Alexandre Dumas. La scène entre la princesse George et la comtesse de Terremonde, il l’avait prise pour la scène du troisième acte entre les deux sœurs, dans Froufrou. Chacun de nous était encore en costume de voyage, et il s’étonnait de ne pas voir les hommes en frac et les femmes en robes de bal. Ah ! quelle hilarité dans la compagnie et dans la ville ! Et je dois ajouter : quelle source de plaisanterie pour les journaux rivaux.

Il me fallut jouer deux jours à Pittsburg, puis me rendre à Bradford, puis à Érié, Toronto ; et enfin, le dimanche, nous arrivâmes à Buffalo.

J’avais voulu offrir à ma compagnie toute une journée de fête aux chutes, mais Abbey voulait aussi