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homme qui s’était fait l’apôtre de cette populace. Un homme qui réclamait pour cette gent grouillante toutes les libertés, tous les privilèges, tous les droits !

Voilée, méconnaissable, je m’étais, au bras d’un ami, mêlée à la foule, et j’étais écœurée, désespérée : pas un mot de reconnaissance pour cet homme... pas un murmure de vengeance... pas une révolte... J’avais envie de crier : « Mais, tas de brutes ! baisez donc les pierres que le sang de ce pauvre fou a rougies à cause de vous ! pour vous ! croyant en vous ! » Mais je fus devancée par un voyou qui cria : « Demandez... demandez les derniers moments de Vaillant ! Demandez... demandez les détails !... Demandez ...demandez... »

Oh ! pauvre Vaillant ! Son corps décapité roulait vers Clamart. Et la foule, pour laquelle il avait pleuré, crié, expiré, s’égrenait lentement, nonchalante et ennuyée. Pauvre Vaillant ! il avait cependant de folles, mais généreuses idées !