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inquiète, angoissée, de voir l’abbé Lethurgi monter en chaire avant de commencer la messe. Il était pâle. Je me retournai instinctivement, cherchant des yeux mère Supérieure. Elle était à son banc. Alors l’aumônier commença d’une voix cassée par l’émotion, le récit de l’assassinat de monseigneur Sibour.

Assassiné. Un souffle de terreur passa au-dessus de nous. Cent cris étouffés, ne formant qu’un seul sanglot, couvrirent un instant la voix du prêtre. Assassiné… ce mot me cingla plus personnellement encore : n’avais-je pas été la favorite, un instant, du doux vieillard ?

Il me semblait que le meurtrier Verger m’avait frappée, moi aussi, dans mon amour reconnaissant pour le prélat, dans ma petite gloire qu’il me volait. Je sanglotai. Puis l’orgue accompagnant la prière des morts exaspéra ma douleur.

C’est à partir de ce moment que je fus prise d’un amour mystique, ardent, qu’entretenaient les pratiques religieuses, la mise en scène du culte, et les encouragements câlins, fervents et sincères de mes éducatrices, qui m’aimaient beaucoup, que j’adorais, et dont maintenant encore, le souvenir charmeur et reposant donne à mon cœur de radieux sursauts.


L’époque décidée pour mon baptême approchait. Je devenais de plus en plus nerveuse. Mes crises me prenaient plus fréquentes : crises de larmes sans raison, de terreurs sans causes. Tout prenait pour moi des proportions étranges.

Un jour qu’une de mes compagnes laissa tomber ma poupée que je lui avais prêtée (car j’ai joué à la poupée jusqu’à plus de treize ans), je me pris à trembler de tous mes membres. J’adorais cette poupée, que m’avait