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clame, si on n’avait pas ajouté plus de six cent mille francs de valeur à mes bijoux à moi, cet homme, ce malheureux enfant n’aurait peut-être pas eu la stupide pensée de les voler. Qui pourra dire les idées qui ont germé dans ce jeune cerveau peut-être affamé, peut-être ivre d’intelligentes inventions ?

Peut-être, en s’arrêtant devant la vitrine du bijoutier, s’est-il dit : « Il y a là pour un million de francs de bijoux ; s’ils étaient à moi, je les réaliserais, je repartirais en Belgique, je donnerais de la joie à ma pauvre mère qui se crève les yeux sous la lampe, je marierais ma sœur. » Peut-être était-il inventeur, et s’est-il dit : « Ah ! si j’avais tout l’argent que ces bijoux représentent, je pourrais exploiter mon invention moi-même, au lieu de vendre mon brevet à un coquin honoré qui me l’achètera pour un morceau de pain. Qu’est-ce que cela peut lui faire, à cette artiste ? Ah ! si j’avais cet argent ! » Peut-être a-t-il pleuré de rage devant tant de richesses à un seul !… Peut-être l’idée du crime a-t-elle germé dans un cerveau pur de toute tache antérieure !

Ah ! qui dira ce que peut enfanter l’espoir dans un jeune cerveau ? Il commence par le plus beau rêve et finit par un désir fou de le mener à la réalité. Voler le bien d’autrui, ce n’est pas bien, mais cela ne mérite pas la mort ! Oh ! non. Tuer un homme de vingt-cinq ans est un crime bien plus grand que de voler des bijoux, même à main armée ; et la société qui se masse pour tenir le glaive de la justice est bien plus lâche quand elle tue, que celui-là qui vole et assassine tout seul à ses risques et périls !

Oh ! j’ai pleuré cet homme que je ne connaissais pas ; qui était peut-être un coquin, peut-être un héros !