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j’avais appelés près de moi. Les artistes n’avaient rien à craindre des voleurs. J’étais seule visée. Pour éviter les questions, et les réponses évasives et inquiétantes, on avait envoyé le secrétaire leur dire qu’il y avait embarras sur la route et qu’il fallait ralentir. On leur dit aussi qu’on faisait une réparation à un tuyau de gaz et qu’on rallumerait dans quelques minutes ; puis on coupa la communication qui conduisait à mon car.

Il y avait peut-être dix minutes que nous marchions, quand nous fûmes éclairés par un grand feu qui nous fit stopper : nous vîmes accourir vers nous une équipe d’hommes du chemin de fer. Je frémis encore en pensant que ces braves gens ont failli être tués. Nous étions dans un tel état de nerfs depuis plusieurs heures, que nous crûmes tout d’abord voir courir sur nous la bande de drôles amis du colosse.

Un premier coup de feu partit ; et sans le brave mécanicien qui cria « halte ! » au milieu d’un terrible juron, deux ou trois de ces braves gens eussent été blessés. Moi, j’avais pris mon revolver. Mais, avant que j’aie tiré la baguette qui sert de cran d’arrêt, on aurait eu cent fois le temps de me prendre, de me lier, et de me tuer.

Et dire que chaque fois que je vais dans un endroit où je crains quelque danger, chaque fois j’emporte mon pistolet, car ce n’est pas un revolver, non, c’est un pistolet. Je dis toujours revolver, mais, à la vérité, c’est un pistolet, et pistolet vieux modèle, avec la baguette, et une gâchette tellement dure que je suis forcée de me servir de mon autre main. Je ne tire pas mal pour une femme, mais à la condition de prendre mon temps, ce qui n’est vraiment pas commode si on veut tirer sur an voleur. Et cependant je l’ai toujours avec moi. Il