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Je m’aperçois de suite qu’il y a connivence entre le bijoutier et mes deux imprésarios. On m’explique que mes bijoux ont grand besoin d’être nettoyés, que ce bijoutier se charge de les remettre à neuf, de les réparer, et, en un mot : de les exposer !

Je me révolte. Mais cela ne sert à rien. Jarrett m’assure que les dames de Saint-Louis sont friandes de ce spectacle ; que ce sera très beau comme réclame ; que mes bijoux sont très ternis ; qu’il manque quelques pierres que le bijoutier remettra pour rien. Quelle économie ! Pensez donc... Et je cède, car ce genre de discussion m’assomme.

Et deux jours après, la vitrine du bijoutier, éclatante de lumière, recevait la visite des dames de la ville venant admirer mes bijoux. Mais ma pauvre Guérard, qui avait voulu voir, elle aussi, revint affolée : « Ils ont ajouté à vos bijoux seize paires de boucles d’oreilles, deux rivières et trente bagues ; plus une lorgnette tout en diamants et rubis, un porte-cigarette en or entouré de turquoises, une petite pipe dont le bout d’ambre est constellé d’étoiles en diamants, seize bracelets, un cure-dents avec un saphir étoilé, et une paire de lunettes avec les branches en or ayant au bout un petit gland de perles ! Ils ont dû les faire exprès ! me dit ma pauvre Guérard, car il ne peut y avoir personne portant de pareilles lunettes ! Et il y a écrit dessus : Lunettes de travail de Mme Sarah Bernhardt ! »

Non, vraiment, je trouvai que cela dépassait les bornes de la réclame : me faire fumer la pipe et porter des lunettes, c’était par trop fort ! Je montai en voiture et m’en fus chez le bijoutier. J’arrivai juste à temps pour me casser le nez devant les portes fermées. C’était