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sœur, une promenade le long de la rivière Saint» Laurent.

A un moment donné, je fis arrêter la voiture pour faire quelques pas.

Ma sœur me dit en riant : « Si nous montions sur le gros glaçon qui semble vouloir craquer ? » Sitôt pensé, sitôt exécuté. Et nous voilà toutes deux marchant sur le glaçon, essayant de le détacher. Tout à coup un cri terrible de Jarrett nous fit comprendre que nous avions réussi, En effet, notre esquif de glace se prot menait déjà dans l’étroit chenal du fleuve toujours libre par la force du courant.

Ma sœur et moi, nous nous assîmes, car le glaçon oscillait en tous sens ; et nous en fûmes prises d’un rire fou.

Les cris de Jarrett avaient attiré du monde. Des hommes armés de gaffes se mirent on devoir de nous arrêter, mais ce n’était pas commode, car les bords du chenal étaient trop friables pour un homme. On nous jeta des cordes. Nous en prîmes une avec nos quatre mains ; mais le brusque effort des hommes pour nous attirer à eux jeta notre radeau si brusquement contre les bords glacés qu’il se brisa en deux, et nous restâmes, très apeurées cette fois, sur une faible partie de notre esquif. Je ne riais plus, car nous commencions à voguer un peu vite, et le chenal allait s’élargissant.

Mais, à un coude qu’il faisait, nous fûmes heureusement enserrées entre deux immenses blocs auxquels nous dûmes de pouvoir sauver notre vie.

Les hommes qui suivaient, avec un véritable courage, notre très rapide course, grimpèrent sur les blocs. Un harpon fut jeté avec une adresse merveilleuse sur notre épave de glace afin de nous retenir en cette place, car