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XXXV


Enfin, nous voici à Montréal.

Depuis longtemps, dès ma plus petite enfance, je rêvais du Canada.

J’entendais toujours mon parrain regretter, avec quelle expression de fureur, l’abandon de ce territoire par la France à l’Angleterre. Je l’avais entendu énumérer, sans très bien les comprendre, les avantages pécuniaires du Canada, la fortune immense qu’il y avait dans ses terres, etc., etc.. Et ce pays était resté dans mon cerveau la terre lointaine et désirée.

Éveillée depuis longtemps par le sifflet strident du chemin de fer, je demandai l’heure. Il me fut répondu qu’il était onze heures du soir.

Nous étions à quinze minutes de la gare. Le ciel était noir et uni comme un bouclier. Les falots placés de loin en loin accrochaient les blancheurs de la neige, entassée là depuis combien de jours ?...

Le train stoppa tout à coup et reprit sa marche dans une allure si lente, si timide, que je pensai que quelque déraillement était à craindre. Mais un bruit sourd,