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gnais ; moi qui aime tant les fleurs, je les prenais en grippe.

Jarrett alla voir cet homme pour le prier de ne plus m’envoyer de bouquets. Rien n’y fit. C’était la revanche de son soufflet, à cet homme.

Et puis, il ne comprenait pas ma fureur. Il faisait un argent fou. Il m’avait même proposé un « tant p. 100 sur les recettes ». Ah ! je l’aurais tué volontiers, cet exécrable Smith ! Il empoisonnait ma vie. Je ne voyais plus que cela dans les villes. Je ne voulais sortir que les yeux fermés de l’hôtel au théâtre. Quand j’entendais des minstrels, je bondissais, je verdissais.

Heureusement que je pus me reposer à Montréal, où il ne m’avait pas suivie. Je crois que je serais tombée malade. Je ne voyais plus que cela. Je ne pensais qu’à cela. Je ne rêvais que de cela. C’était une hantise, une obsession, un perpétuel cauchemar.

Enfin, je quittai Hartford après avoir visité la grande usine dans laquelle se fabriquent les fameux colt. J’en achetai deux.

Jarrett me jura qu’Henri Smith ne serait pas à Montréal : il est tombé subitement malade. Je soupçonne Jarrett de lui avoir donné quelque violente purgation pour arrêter sa marche. Il riait trop en route, le féroce gentleman.

Néanmoins, je lui sus un gré infini de m’avoir momentanément débarrassée de cet homme.