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dit son père. — Oh ! oui, avec plaisir ! » Mais Jarrett se mit à descendre aussi vite que le lui permettaient son âge et sa corpulence. « Si vous conduisez, je préfère descendre. » Et il monta dans une autre voiture.

Je me mis hardiment à la place de M. Gordon pour conduire ; et nous n’avions pas fait cent mètres, que je fis entrer les chevaux chez un pharmacien du quai et monter la voiture sur le trottoir. Sans la rapide énergie de M. Gordon, nous étions tous tués.

Rentrée à l’hôtel, je me mis au lit jusqu’à l’heure de la représentation.

Et, le soir, nous jouions Hernani devant une salle comble. Les places avaient été mises aux enchères et avaient atteint des chiffres considérables.

Nous avons donné quinze représentations à Boston, avec une moyenne de dix-neuf mille francs par représentation.

C’est avec regret que je quittai cette ville. J’y avais passé deux semaines pleines de charme, l’esprit toujours en éveil avec les Bostoniennes. Elles sont puritaines de la pointe des cheveux à la pointe des pieds, mais elles le sont sans amertume et avec indulgence. Ce qui m’a le plus frappé chez elles, c’est l’harmonie du geste et la sourdine de leur voix.

Élevée dans les traditions les plus sévères, les plus âpres, la race bostonienne me semble la plus affinée et la plus mystérieuse de toutes les races américaines. Les femmes étant en majorité à Boston, il y en a beaucoup qui restent filles. Aussi toutes les forces vitales qu’elles ne peuvent dépenser dans l’amour ou la maternité, elles les emploient à assouplir et fortifier la beauté de leur corps par des exercices de sport où la grâce ne perd pas ses droits. Toutes les réserves de