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mains prises dans de grandes moufles en laine. Seuls ses yeux et son gros diamant brillaient sous les fourrures.

Je descendis le quai, très intéressée. Il y avait quelques curieux et des reporters. Hélas ! trois fois hélas !

Alors la patte velue d’Henri me prit la main et m’entraîna rapidement.

Je faillis quinze fois me casser le cou jusqu’à l’escalier ; il me poussa, me fit dégringoler les dix marches du bassin, et je me trouvai sur le dos de la baleine qui, dit-on, respirait encore... — vraiment, je n’ose l’affirmer. Mais le clapotis de l’eau qui venait briser son remous contre la pauvre bête la faisait légèrement osciller. Puis, elle était recouverte de verglas. Deux fois je m’étalai sur son épine dorsale. J’en ris maintenant, mais j’étais furieuse.

Cependant, on insistait autour de moi pour que j’arrachasse une baleine du fanon de la pauvre capturée, une de ces petites baleines qui servent pour les corsets de femmes. Cela m’inquiétait. Je craignais de la faire souffrir. Et je la trouvai si malheureuse, cette pauvre grosse bête sur laquelle trois personnes : Henri, la petite Gordon et moi, patinions depuis dix minutes ! Enfin je me décidai, j’arrachai une petite baleine et je remontai, mon triste trophée à la main, entourée, pressée, énervée.

J’étais fâchée contre cet Henri Smith. Je ne voulais pas remonter en mail. Je voulais cacher ma méchante humeur dans un des profonds et sombres landaus qui suivaient ; mais la ravissante miss Gordon me demanda si gentiment pourquoi... que je sentis ma colère fondre au sourire de cette enfant. « Voulez-vous conduire ? me