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depuis un mois ; on m’avait tellement critiquée et glorifiée ; tant de calomnies stupides, sales, bêtes et odieuses avaient couru sur mon compte ! Les uns blâmaient, les autres admiraient le dédain avec lequel j’avais répondu à ces turpitudes. Puis, on n’ignorait pas que le succès final avait été pour moi et que j’avais triomphé de tout, envers et contre tous.

Boston n’ignorait pas non plus que des clergymen étaient montés en chaire pour déclarer que j’étais envoyée par le vieux monde pour corrompre le nouveau, que mon art m’était insufflé par l’enfer, etc., etc.

On savait tout cela, et le public voulait voir par lui-même.

Boston appartient surtout aux femmes. La légende dit que c’est un pied de femme qui, le premier, a foulé le sol de Boston. Les femmes y sont en majorité : elles sont puritaines avec intelligence, et indépendantes avec grâce.

Je traversai la haie formée par cet étrange, courtois et froid public.

Au moment où j’allais monter en voiture, une dame s’approcha de moi : « Soyez la bienvenue à Boston, Madame ! Soyez la bienvenue. Madame ! » Et elle me tendit une petite main douce et menue — les Américaines ont des mains et des pieds charmants, en général. D’autres personnes s’approchèrent et me sourirent. Je dus distribuer des shake-hands nombreux.

Je pris de suite cette ville en tendresse. Cependant, j’eus un instant de véritable fureur en voyant sauter sur le marchepied de la voiture qui m’emportait, un reporter plus pressé, plus audacieux encore que les autres. Cela dépassait vraiment la permission. Je repoussai méchamment ce vilain homme, mais Jarrett, qui