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Le bruit étourdissant des machines, l’aveuglante rapidité des changements de lumière, tout cela me tournait la tête ; et, oubliant où j’étais, je m’appuyais sur le léger rempart qui me séparait de l’abîme avec une telle inconscience du danger, qu’avant même que je fusse revenue de ma surprise, Edison m’avait entraînée dans la pièce voisine et installée dans un fauteuil, sans que j’en eusse le moindre souvenir. Il me raconta peu après que j’avais été prise de vertige.

Après nous avoir fait les honneurs de «es découvertes téléphoniques et de son étonnant phonographe, Edison m’offrit le bras pour me conduire dans la salle à manger, où je trouvai sa famille assemblée. J’étais très fatiguée et je fis honneur au souper préparé avec tant de bonne grâce.

Je quittai Menlo Park à quatre heures du matin. Cette fois, la campagne, les routes et la station étaient éclairées à giorno par les mille feux de l’aimable savant. Bizarre suggestion de la nuit : j’avais cru faire un long chemin et il m’avait semblé voyager sur des routes impraticables ; le chemin était court et les routes charmantes, quoique envahies par la neige. L’imagination avait joué un grand rôle dans le trajet qui nous avait conduit à la maison d’Edison ; mais la réalité en jouait un bien plus grand dans le même trajet qui nous ramenait à la station.

J’étais transportée d’admiration pour les inventions de cet homme. Je restai charmée par sa grâce timide, pleine de courtoisie, et par son profond amour pour Shakespeare.