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Son merveilleux œil bleu, plus lumineux que ses lampes incandescentes, me permettait de lire toutes ses pensées. Alors, je compris qu’il fallait le conquérir ; et mon esprit combatif fit appel à toutes mes forces séductrices pour vaincre ce délicieux et timide savant.

Je fis tant et si bien qu’une demi-heure après, nous étions les meilleurs amis du monde. Je le suivais rapidement, grimpant des escaliers étroits et droits comme des échelles, traversant des ponts suspendus au-dessus de véritables fournaises ; il m’expliquait tout.

Je comprenais tout ; et je l’admirais de plus en plus, car il était simple et charmant, ce roi de la lumière.

Pendant que nous étions penchés tous deux sur le léger pont tremblant sur l’abîme effroyable dans lequel tournaient, viraient, criaient d’immenses roues enserrées dans de larges lanières, il donnait d’une voix claire des commandements divers, et la lumière éclatait de toutes parts, tantôt en jets crépitants et verdâtres, tantôt en éclairs rapides, parfois en traînées serpentines, tels des ruisseaux de feu.

Je regardais cet homme de taille moyenne, à la tête un peu forte, au profil plein de noblesse, et je pensais à Napoléon Ier. Il y a certainement dans ces deux hommes une grande ressemblance physique, et je suis certaine qu’il est une case de leur cerveau qu’on trouverait identique. Bien certainement, je ne compare pas leurs génies : l’un fut « destructeur », l’autre « créateur ». Mais, tout en exécrant les batailles, j’adore les victoires ; et, malgré ses erreurs, j’ai élevé dans mon cœur un autel à ce dieu de la mort, à ce dieu de la gloire, à Napoléon !

Donc, je regardais Edison, l’esprit rêveur, rapprochant son image de celle du grand mort.