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après le cinquième. La pièce, grâce aux applaudissements et rappels, avait duré une heure de plus. J’étais morte de fatigue.

J’allais monter dans ma voiture pour rentrer à l’hôtel, quand Jarrett vint me prévenir qu’il y avait plus de cinq mille personnes dehors. Je tombai sur une chaise, lasse et découragée. « Ah ! j’attendrai là que la foule soit écoulée. Je n’en peux plus... je n’en peux plus. »

Cependant, Henry Abbey eut une inspiration de génie. « Tenez, dit-il à ma sœur, mettez le chapeau de Madame — il me désignait — son boa, et prenez mon bras. Ah ! prenez aussi ces bouquets, et donnez... que je porte le reste. Et maintenant, montons dans la voiture de votre sœur et saluons. » Tout cela, il le dit en anglais ; et Jarrett le translata à ma sœur, qui se prêta de bonne grâce à cette petite comédie. Pendant ce temps, Jarrett et moi montions en voiture dans le coupé d’Abbcy qui stationnait sur le devant du théâtre, où personne ne m’attendait. Et, bien heureusement que nous pûmes agir ainsi, car ma sœur ne rentra à Albemarle Hôtel qu’une heure après moi, très fatiguée, mais très amusée. Notre ressemblance, mon chapeau, mon boa et la nuit tombante avaient été les complices de la petite comédie offerte à mon enthousiaste public.

Nous devions partir à neuf heures pour Menlo Park. Il fallait nous habiller en voyageuses, car, le lendemain dimanche nous filions sur Boston ; et nos malles partaient le soir même, avec ma compagnie qui me précédait de quelques heures dans cette ville.

Notre repas fut, comme toujours, bien mauvais, car à cette époque la nourriture en Amérique était l’horreur des horreurs. A dix heures, nous montions dans le train.