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l’oublier. Quand j’arrivai au Théâtre pour m’habiller, il était midi, car la matinée commençait à une heure et demie. Ma voiture s’arrêta, ne pouvant plus avancer, car la rue était encombrée de dames assises, qui sur des chaises empruntées aux magasins voisins, qui sur des pliants apportés par elles-mêmes. On jouait La Dame aux Camélias. Je dus descendre de voiture et faire une vingtaine de mètres à pied pour arriver à l’entrée des artistes. Je mis vingt-cinq minutes pour parvenir à cette porte. On me serrait les mains, on me suppliait de revenir. Une dame retira sa broche et l’accrocha à mon manteau : une modeste broche en améthystes entourées de perles fines, mais sûrement, pour cette femme, cette broche était une petite valeur.

A chaque pas j’étais retenue. Une dame eut l’idée de sortir son calepin et me pria d’écrire mon nom. Ce fut comme une traînée de poudre. De très jeunes gens, qui se trouvaient avec leur famille, me firent écrire mon nom sur leur manchette. Je n’en pouvais plus. On me chargeait les bras de petits bouquets, de gerbes. Je sentis derrière moi que quelqu’un tirait un peu fort ma plume de chapeau. Je me retournai vivement. Une femme, ayant à la main une paire de ciseaux, avait essayé de me couper une mèche de cheveux, mais elle coupa ma plume.

Jarrett faisait en vain de grands signes et de bruyants appels, je ne pouvais avancer. On fit chercher des détectives qui vinrent me délivrer, et cela sans courtoisie, ni pour mes admiratrices, ni pour moi. C’étaient de véritables brutes ; et il était temps que j’arrivasse, car j’allais me fâcher.

Je jouai La Dame aux Camélias. Je comptai dix-sept rappels après le troisième acte et vingt-neuf rappels